Depuis qu’il a été embauché au sein de la Continental en janvier 1941, André Cayatte n’a eu de cesse de vouloir quitter la firme. Son contrat expiré et Alfred Greven à l’étranger, il s’engage dans une réalisation avec le producteur Édouard Harispuru. Mais alors que le projet est déjà avancé, Greven lui téléphone : « Une séance effroyable dans laquelle il me dit : “C’est bien simple : vous ne foutez pas le camp comme cela ! On ne s’en va pas… Je vais vous mettre dans un camp !” Séance effroyable par conséquent et telle que j’ai dit : “Bon, je reste”. » (André Cayatte in Christine Leteux, Continental Films, La Tour verte). Contraint, le cinéaste réalise en 1943 Au Bonheur des Dames, puis Pierre et Jean.
Adapté d’un roman de Guy de Maupassant, écrit d’une traite durant l’été 1887, Pierre et Jean est une histoire de famille. Pierre, l’aîné, médecin, et Jean, le cadet, avocat, sont tous les deux épris de Louise. La jalousie et une forte rivalité fraternelle s’installent. Mais quand on apprend, à la mort en pays lointain du docteur Marchat, que Jean est son héritier, le doute s’installe dans l’esprit de Pierre, qui soupçonne son cadet de n'être que son demi-frère. Il malmène sa mère, l’accuse d’avoir trahi la famille en trompant son père. Alice, elle, sait que c'est pour lui qu'elle a sacrifié son grand amour, en se refusant à le séparer de son père.
Parmi les sept films que Renée Saint-Cyr a tournés durant l'Occupation, le rôle d'Alice, avec celui de Marie-Martine dans le film éponyme d'Albert Valentin (1943), est celui dans lequel elle s'est révélée la plus juste, bien supérieure à ses interprétations habituelles, rendant même déchirant son impossible amour parallèle. Et l'ultime scène, où elle se retrouve seule, "en tête-à-tête, jusqu'à notre mort", avec son époux détesté (un Noël Roquevert de bout en bout remarquable) est un beau moment d'authentique désespoir.
« Le film a été tourné presque d’un seul mouvement de caméra, en décors réels, d’une façon très intimiste. Nous n’avions pas beaucoup de moyens, et les décors étaient limités ; aussi la caméra devait-elle accompagner sans arrêt les personnages, évitant le grand champ et multipliant les gros plans. L’intérêt pour moi a été de m’habituer à travailler de près. » (André Cayatte, in Guy Braucourt, André Cayatte, Seghers). Des contraintes qui ont amené Cayatte à signer un film juste et sensible sur la rivalité amoureuse et les secrets de famille. Pour certains, sans doute un de ses plus beaux films.
Pierre et Jean
France, 1943, 1h13, noir et blanc, format 1.37
Réalisation & scénario : André Cayatte, d’après le roman éponyme de Guy de Maupassant
Dialogues : André-Paul Antoine
Photo : Charles Bauer
Musique : Roger Dumas
Montage : Marguerite Beaugé
Décors : André Andrejew
Costumes : Rosine Delamare
Production : Continental Films
Interprètes : Renée Saint-Cyr (Alice), Noël Roquevert (Roland), Jacques Dumesnil (Marchat), Gilbert Gil (Pierre), Bernard Lancret (Jean), Dany Bil (Pierre, enfant), Solange Delporte (Louise), Georges Chamarat (le notaire), René Génin (Marescot), Huguette Vivier (Loulou Vertu)
Sortie en France : 29 décembre 1943
Restauration spécialement pour le festival par Gaumont au laboratoire Eclair, scan 4K, restauration 2K, avec la participation du CNC.
Distribution : Gaumont
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