« À vrai dire, je me moquais de l’intrigue. Chandler lui-même n’y prêtait guère d’attention. Ce qui l’intéressait, c’était les personnages, leur attitude, leur caractère. » (Robert Altman, Positif n°166, février 1975). Lors de la sortie très décriée du Privé, les plus chandlèriens des cinéphiles reprochèrent à Robert Altman d’avoir trahi l’œuvre du créateur de Philip Marlowe. Et pourtant…
Le célèbre privé se réveille ici d’une gueule de bois et sans doute d’un très long sommeil. L’Amérique des années 50 est devenue la Californie hippie des années 70. Los Angeles ne dort plus, le balai des freaks est incessant. Et c’est dans un état cotonneux que Marlowe traverse le film. Campé par Elliott Gould, aux antipodes de ce qu’incarnait Humphrey Bogart, le privé est un anti-héros désabusé, décalé, avec sa Lincoln de 1948, son costume noir fatigué, sa cravate démodée et son indétrônable cigarette.
Altman s'est toujours attaqué aux archétypes hollywoodiens, films de guerre, westerns, musicals. En détournant cette fois-ci le film noir, il signe une œuvre mélancolique, dans la lumière crue californienne. L’humour est féroce, l’ambiance anxieuse, la conspiration bien tordue, et surtout l’esprit de Chandler est respecté.
Si le rôle de Roger Wade est un des plus marquants de Sterling Hayden, celui-ci avait bien failli ne pas le jouer. Les producteurs souhaitaient Robert Mitchum, et Altman voulait donner le rôle à son ami Dan Blocker. Mais ce dernier décède avant le tournage. Le cinéaste jouera alors comme personne avant lui avec la personnalité de Sterling Hayden. « C'était vraiment une figure tragique, et Bob le savait. Bob s'en est servi. Un écrivain ivrogne qui a perdu son chemin, c'est Wade dans l'histoire, mais c'était Hayden aussi. » (Mark Rydell, cité par Philippe Garnier, Sterling Hayden, L'irrégulier, La Rabbia). Comme son personnage, Hayden est à ce moment-là bloqué dans l’écriture de son roman, mais aussi sujet à une sévère dépression et en cure de désintoxication.
« Dans le film d'Altman, avec sa canne, sa casquette et ses dangereuses gesticulations, Wade était une réplique alarmante de ce que l'homme Sterling Hayden était dans la vie, ou de ce qu'il allait bientôt devenir. Pour sceller la similarité, quand il boit avec Marlowe (qu'il s'entête à appeler "Marlborough"), Wade lève une bouteille d'aquavit encore dans sa gaine de glace ̶ l'alcool de prédilection de l'acteur. En fait, Altman avait compris l'homme comme peu de réalisateurs auparavant. Lors d'un reportage à Phoenix, Arizona […], Altman m'a (ré)affirmé qu'il avait simplement dit à Hayden et à Henry Gibson, l'acteur de poche qui joue le véreux docteur Verringer, "d'aller fumer dans leur coin et d'écrire leurs scènes eux-mêmes." Bonne idée. » (Philippe Garnier, op. cit.)
Le Privé (The Long Goodbye)
États-Unis, 1973, 1h52, couleurs (Technicolor), format 2.35
Réalisation : Robert Altman
Scénario : Leigh Brackett, d’après le roman The Long Goodbye de Raymond Chandler
Photo : Vilmos Zsigmond
Musique : John Williams
Montage : Lou Lombardo
Décors : Syd Greenwood
Costumes : Kent James, Marjorie Wahl
Production : Elliot Kastner, Jerry Bick, Lion's Gate Films
Interprètes : Elliott Gould (Philip Marlowe), Nina Van Pallandt (Eileen Wade), Sterling Hayden (Roger Wade), Mark Rydell (Marty Augustine), Henry Gibson (le Dr. Verringer), David Arkin (Harry), Jim Bouton (Terry Lennox), Warren Berlinger (Morgan), Jo Ann Brody (Jo Ann Eggenweiler), Steve Coit (l'inspecteur Farmer), Jack Knight (Mabel), Pepe Callahan (Pepe), Vince Palmieri (Vince), Pancho Cordoba (le médecin), Enrique Lucero (Jefe), Rutanya Alda (Margo Sweet),
Sortie aux États-Unis : 7 mars 1973
Sortie en France : 29 novembre 1973
Restauration 2K au laboratoire Eclair d’après le négatif original.
Distribution : Capricci. Ressortie en salles le 27 novembre 2019.
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