Robert Mulligan,

tiré de l'oubli
 


Posté le 13.10.2019 à 19h



Un merveilleux documentaire rend hommage au travail tout en nuances du réalisateur américain oscarisé en 1963 pour Du silence et des ombres. A découvrir sur Ciné+ en janvier.

Visuel doc Robert Mulligan avec titre

 

Lionel Lacour était dans ses petits souliers. Ce dimanche, à l’entrée de la salle 2 de l’Institut ce n’est pas lui qui assure l’accueil de l’ambassadeur venu assurer la présentation du film du jour. L’ambassadeur c’est lui, qui a eu l’audace de commettre un documentaire sur un cinéaste en partie oublié, Robert Mulligan (1925-2008) que le festival a jugé bon de sélectionner pour cette dixième édition. Pourquoi Mulligan ? Parce que la découverte tardive par Lionel Lacour de son film le plus connu, Du silence et des ombres, récompensé en 1963 de trois oscars - dont celui du meilleur acteur pour Gregory Peck - l’a conduit à la suite à chercher de la matière sur lui. “Un livre ? Il n’en existait pas. Un documentaire ? Pas plus”.

C’est d’abord l’envie de lui consacrer une biographie qui l’anime, avant qu’un producteur lyonnais de ses amis, Jérôme Duc-Maugé, ne le pousse à lui consacrer plutôt un film, bien qu’il n’existe a priori que très peu d’images d’archives sur Mulligan. Ils feront avec ; ou plutôt sans ! C’est au cours d’une conversation informelle avec Michel Ciment que le projet prend définitivement forme : le directeur de la revue Positif lui apprend qu’il possède encore l’enregistrement de son interview de Mulligan, réalisée en 1972 au moment de la sortie de Un été 42. Cette voix, grave, solennelle va ainsi servir de conducteur à l’exploration de son travail d’artiste, observateur délicat de la société américaine des années Soixante.

Des témoignages sollicités des deux côtés de l’Atlantique viennent compléter le portrait, dont celui du critique américain Armond White, de Robert Stein, agent de Robert Mulligan, de Michel Ciment bien sûr ou encore de Didier Decoin (scénariste de I… Comme Icare) fan numéro 1 du cinéaste qui se rappelle encore tout excité de cette fois où sortant du cinéma parisien qui projetait Un été 42 il s’était rué sur les passants en les sommant quasiment de courir découvrir à leur tour cette merveille.

Pourquoi le cinéma de Robert Mulligan est-il tombé dans l’oubli ? Sans doute parce que le contour social de nombre de ses films ne correspond plus aujourd’hui aux canons des élégances cinématographiques dictées par... Marvel, entre autres. Mulligan était au contraire le cinéaste de l’humain. Ses super-héros à lui défendaient la justice et le droit (Gregory Peck en avocat intègre dans l’Amérique ségrégationniste des années Soixante) où s’ingéraient contre le système, à l’image de Nathalie Wood, irrésistible dans Daisy Clover, critique du star-system.

Robert-Mulligan-CHAINES-DU-SANGRobert Mulligan sur le tournage de Chaînes du sang

Autre piste suggérée par Michel Ciment, le fait que Robert Mulligan ait été un créateur malléable - “versatile” préfèrent dire ses critiques - mais invariablement élégant ; à l’aise dans la comédie (Le rendez-vous de septembre avec Gina Lollobrigida et Rock Hudson), le western (L’homme sauvage avec encore Gregory Peck) et même le film de genre (L’autre). Armond White rappelle combien il fut injustement critiqué par son “manque de style”, mais préfère souligner que Mulligan, attaché d'abord à ce qu’il racontait, choisit plutôt de le rendre "invisible".

Lacour lionel

En creux, c’est justement cet homme “transparent” que le film de Lionel Lacour s’évertue à nous dévoiler. Il faut attendre les cinq dernières minutes pour découvrir enfin son visage de vieil enfant sage, invariablement vêtu de son pull col en v sous lequel il portait une cravate. La manière dont Mulligan abandonna le cinéma en 1991 à l’âge de 66 ans, illustre qui était cet homme au profil bas. Cette année-là, il réalise un film dont il est pourtant particulièrement fier, Un été en Louisiane dans lequel débute une certaine Reese Witherspoon,15 ans. Mais le public ne le suit pas et Mulligan en tire les conséquences. “J’ai fait mon temps”. Or voilà que ce temps redevient son allié, par la grâce d’un documentaire qui donne envie de (re)découvrir une oeuvre définitivement intemporelle.

 

Carlos Gomez

 

 

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