Mafia

Histoires d’Amérique

 


Posté le 15.10.2019 à 11h00


 

Régulièrement, Martin Scorsese est revenu vers la mafia, comme mu par un besoin de se ressourcer avec l’air pourtant vicié qu’il respirait enfant, à Little Italy. S’il n’a jamais bossé pour la pieuvre, l’impôt mafieux, les types patibulaires en costard, l’italianité, les partages de territoires et les règlements de comptes sanglants étaient constitutifs de son environnement et l’ont durablement imprégné. Sorte d’état dans l’état avec ses codes, sa violence, ses mystères, la mafia nous inquiète et nous fascine tous comme elle a fasciné Marty qui y a puisé l’inspiration de ses meilleurs films.

 

scorsese1The Irishman, de Martin Scorsese, Auditorium de Lyon, 19h15

 

Tout a commencé dès 1973 et Mean Streets, où ses partenaires à venir d’une vie, Robert De Niro et Harvey Keitel, éclaboussent l’écran, et pas seulement de gouttes de sang. Chronique de la mafia d’en bas, au ras du quartier et du trottoir, Mean Streets est aussi le portrait de Johnny Boy, jeune gangster tête brûlée qui accumule les dettes et double toujours la mise – un type qui transgresse les règles de son milieu en prenant tous les risques. Autoportrait en creux du jeune cinéaste ?

La mafia revient en arrière-plan de Raging Bull, tirant dans l’ombre les ficelles de la boxe-business. De Niro et l’ébouriffant Joe Pesci y succèdent au duo De Niro/Keitel dans la même distribution des rôles entre un De Niro/La Motta “ingérable” et son partenaire qui joue le rôle de grand frère plus posé et réaliste.

La mafia revient au premier plan dans Les Affranchis, une des grandes réussites scorsésiennes. Comme dans Mean Streets, Marty y dresse le portrait d’un outsider : Henry Hill (extraordinaire Ray Liotta) tranche parce qu’il est irlandais, mais aussi parce qu’il tente de jouer sa carte personnelle en violant les règles de l’organisation. Mais contrairement à Johnny Boy, il s’émancipe sans panache, la trouille au bide, et la coke qu’il s’enfile par kilos n’arrange en rien sa paranoïa.

La paranoïa est également au coeur de Casino, candidat sérieux au titre de chef-d’oeuvre de Scorsese. Campé à Las Vegas, Casino est aussi une fresque sur le capitalisme et les circuits occultes de l’argent, une métaphore de l’Amérique en voie de disneylandisation et une histoire d’amour cruelle. Scorsese s’intéresse de nouveau à un semi-outsider, le Juif Ace Rothstein, salarié de haut rang de l’organisation italienne. La question de la confiance est ce qui fera dérailler son couple, son emploi et sa vie. Fric, coke, sexe, jalousie, brutalité, paradis artificiel ultraflashy de Vegas, rock’n’roll et La Passion selon Saint Mathieu de Bach forment le cocktail explosif de ce film dément.

Sous des déclinaisons différentes, la mafia est aussi présente dans Gangs of New York (il ne s’agit pas de la mafia stricto sensu, mais d’un de ses modèles originels possibles sur le plan de la violence urbaine organisée) et dans Le Loup de Wall street où l’on peut voir le milieu de la finance comme une version légale de la pieuvre et pointer les ressemblances entre la figure de Jordan Belfort (génial Leo Di Caprio) et ses prédécesseurs joués par De Niro ou Liotta (de même que Marty met en miroir gansgters et police dans Les Infiltrés).

Trop de pognon, trop de dope, trop de sentiment de surpuissance finit tôt ou tard par mener à la chute, telle est la trajectoire commune à tous les (anti)héros de ces mafia films. On s’apprête maintenant à découvrir The Irishman en explosant le thermomètre de l’attente, d’abord parce qu’on y retrouve la géniale bande à Marty canal historique (De Niro, Pesci, Keitel), renforcée par rien moins qu’Al Pacino (depuis les dix minutes superbes mais insuffisantes de Heat, on rêve de voir réunis à l’écran Al et Bob, ces deux monuments des seventies), et puis parce que Scorsese nous y plonge dans les relations troubles entre mafia et syndicats des camionneurs, ces “maladies de jeunesse de l’Amérique” comme disait Max/James Wood dans Il Etait une fois en Amérique de Sergio Leone. Encore une histoire d’hubris et de chute autour de la figure de Jimmy Hoffa ? Encore une histoire d’Amérique voire l’Histoire de l’Amérique ? A coup sûr, l’un des événements du festival Lumière 2019.

 

Serge Kaganski

Catégories : Lecture Zen