Posté le 14.10.2019 à 12h45
En dix films classés au patrimoine mondial du cinéma, l’utilisation du noir et blanc fait vibrer des mondes éclatants de contrastes.
Le noir
Le plus spectaculaire dans le noir et blanc, c’est le noir d’encre. Citizen Kane (Orson Welles, 1941), M Le Maudit (Fritz Lang, 1931), et La Nuit du chasseur (Charles Laughton, 1955) forment un trio de films méchants comme la nuit quand elle est menaçante et surtout secrète. Elle brille chez Laughton comme un conte de fée maléfique. Elle s’intensifie de plus en plus, comme la traque sans merci d’un tueur terrible chez Lang. Elle irradie chez Welles qui filme ses séquences de jour comme si elles étaient nocturnes. Ces trois portent le noir et… noir comme un étendard. Ils sèment un sentiment de longue menace porté par des héros de plus en plus considérables, qui trainent comme des ombres énormes.
M Le Maudit de Fritz Lang
Le blanc
En pleine lumière et lyrisme diurne, Le Plaisir (Max Ophuls, 1952), La Chevauchée fantastique (John Ford, 1939), Drôle de drame (Marcel Carné, 1937), Quand passent les cigognes (Mikhaïl Kalatozov, 1957), jouent avec les blancs aveuglants pour des films qui ne veulent rien cacher. Au contraire ils explosent sur l’écran. On court sans relâche après le bonheur dans la ronde dégorgeant de lumières et de brillances d’Ophuls. On traverse les zones dangereuses à découvert pour montrer son courage, sa bonne humeur et la jeunesse du pays du temps des pionniers américains de Ford. On s’amuse franchement les uns des autres, face à face, sans secret, dans la comédie absurde de Carné. On politise son amour débordant au cœur d’un pays, l’URSS, en flamme patriotique qui n’a rien à cacher pour Kalatozov.
Drôle de drame de Marcel Carné
Le gris
Dans le noir et blanc, il y a évidemment le primordial gris. Le gris c’est la réalité au cinéma. La représentation du monde qui ne cherche pas le romanesque, ni l’effet sidérant au sens ostentatoire. Le gris, ouvertement complexe, donne la vie à La Règle du jeu (Jean Renoir, 1939), Voyage à Tokyo (Yasujirô Ozu, 1953) et Miracle à Milan (Vittorio De Sica, 1951). Le gris est la dominance de la nuance, avec simplicité ! Les hommes ont chacun leurs raisons d’être multiple et de se mouvoir chez Renoir. La vieillesse apaisée accomplit gestes après gestes son destin chez l’aimable et si élégant Ozu. Un bidonville où tout pourrait paraître terne, se met à vibrer d’infinités grisées si on le regarde longtemps comme le fait De Sica. Sans chercher jamais à hurler, les mondes en gris livrent autant que des dialogues. Les noir, blanc et gris du Grand classique en noir et blanc, invitent ainsi l’œil à cultiver son acuité. L’imagination devant un noir total, ou le ravissement devant l’éblouissement tout à coup d’un blanc, et le répit d’un gris, déclinent un cinéma qui n’en finit pas de livrer ses secrets.
La Règle du jeu de Jean Renoir
Virginie Apiou