Posté le 14.10.2019 à 18h30
Il était une fois Francis Ford Coppola réalisateur du Parrain .
Nous sommes en 1972, quand le public découvre Le Parrain.
Adapté du best seller de Mario Puzo, Le Parrain est l'histoire de la famille italo-américaine, les Corleone de 1945 à 1955 à New York. Il y a le patriarche Don Vito Corleone qui règne sur un empire occulte, composé de trafics mafieux à grande envergure. Au creux de son large domaine, dans la pénombre d'un bureau où l'on parle en murmurant, il distribue ses décisions violentes. Quand soudainement se pose la question de sa succession, Michael, le fils le plus avisé, jusqu'ici totalement éloigné de toutes les activités de son père, se lève et avance.
Le Parrain est un des films les plus connus au monde. Pourtant au départ c'est un scénario refusé partout. Des cinéastes comme l'immense Sergio Leone, le sûr Richard Brooks ou le politique Costa Gavras n'en veulent pas. Car Le Parrain est avant tout un projet de producteur, celui du légendaire Robert Evans, physique de jeune premier au visage à l'éternelle bonne mine. Un vrai californien des années 60.
Quand on lui propose le script, Coppola accepte.
Le Parrain au départ, c'est donc un film de commande. Coppola va devoir se battre en permanence pour imposer sa grande vision d'artiste face à de nombreuses tracasseries.
Côté casting, on parle de Paul Newman, Steve McQueen, Sylvester Stallone, Peter Falk, ou Mia Farrow et même Frank Sinatra qui se propose.
Mais le rôle essentiel à distribuer est celui de Michael. Evans évoque les physiques a priori peu italiens de Robert Redford, ou Ryan O'Neal. Les noms de Jack Nicholson, Warren Beatty, Martin Sheen ou James Caan circulent. Coppola veut un inconnu. A Hollywood, les physiques des jeunes premiers sont en train de changer et s'ouvrent à des beautés masculines différentes par leur puissance, leur intensité de jeu libéré. Des comédiens comme Robert De Niro, Dustin Hoffman et Al Pacino, comédiens de la côte est, se distinguent fortement. Coppola porte son choix sur Pacino pourtant jugé trop petit avec son mètre 65. Pacino est profondément new yorkais. Peu connu, il s'est fait remarquer dans Panique à Needle Park, magnifique petit film indépendant de Jerry Schatzberg dans lequel Pacino joue un jeune drogué les cheveux en bataille profondément amoureux. Le toujours bien coiffé Michael, ce sera lui. A ses côtés James Caan, Talia Shire, Diane Keaton, Robert Duvall, John Cazale lui donneront la réplique.
Sur le tournage l'ambiance est particulière car Coppola est en permanence sous surveillance du studio la Paramount, qui menace de le renvoyer à tout bout de champs. Heureusement Coppola est entouré par des collabotrateurs de génie : le directeur artistique Dean Tavoularis, le chef opérateur
Gordon Willis, le compositeur attitré de Fellini : Nino Rota, et un détail qu'on ne peut oublier Marlon Brando.
Brando à cette époque est une plus une légende qu'un acteur pour le public. Pour les producteurs c'est surtout beaucoup d'ennuis en perspective. Brando a la réputation d'être ingérable et surtout trop cher. Mais Coppola est sûr que c'est lui. Voici comment il a négocié son arrivée.
Coppola se souvient donc de sa tractation avec la Paramount qui pose 3 conditions pour Brando. 1, Brando fait le film gratuitement, 2, Brando doit passer des essais, 3, il dépose 1 million de dollars à la banque au cas où il arriverait quelque chose sur le plateau. Coppola répond : j'accepte !
Et il a bien fait car sa version du Parrain en fait le film le plus rentable de 1972. Ce succès planétaire aura un suite remarquable de puissance en 1974 : Le Parrain 2, et 16 ans plus tard en 1990 Le Parrain 3.
Le Parrain récolte aussi 3 oscars : meilleur film, meilleur acteur pour Brando, meilleur scénario adapté. Une reconnaissance très intéressante quand on pense que pour Coppola, Le Parrain et tous ses trafics de l'ombre est une métaphore du capitalisme américain.
C'est aussi le triomphe du Nouvel Hollywood, un mouvement artistique, porté par un groupe de jeunes réalisateurs qui impose une façon totalement libérée de faire du cinéma. Il y a George Lucas, Steven Spielberg, Martin Scorsese, Hal Hashby, Brian de Palma. Avec eux Francis Ford Coppola créée une nouvelle famille, la famille mot-clé de la galaxie Coppola.
Dans l'interview que nous venons d'écouter, Coppola dit : "J'ai toujours pensé que nous réunir avec mes cousins, mes oncles, était important pour moi. J'ai appris à parler avec eux quand j'avais des problèmes, et j'ai compris comment filmer une famille parce que je vivais ça. Et au fur et à mesure du tournage, Le Parrain est devenu le plus grand home family movie de l'histoire !"
Alors Le Parrain un banal film de famille amateur ? Oui. Mais pas seulement.
C'est aussi un film où il y a de la beauté et de la magie inattendues. Elles sont d'autant plus fortes qu'elles sont brèves comme cette séquence tournée en Sicile où Michael Corleone s'est réfugié le temps de faire oublier qu'il a commis des assassinats. Cet épisode sicilien est magnifique car il est utopique. Il fait croire l'espace d'un instant qu'on peut effacer la réalité américaine et criminelle, en trouvant le paradis en Italie, les pays des origines. Michael Corleone en effet oublie tout et tombe soudainement amoureux d'une très jeune femme qu'il va très simplement courtiser et épouser. Voici la musique et l'atmopshère sonore du bonheur éphémère et plein qui jalonne la psychopathie générale qui traverse Le Parrain.
Si on le découvre ou rédécouvre aujourd'hui, Le Parrain est toujours aussi génial. Coppola filme l'apparente banalité de la vie de famille, qui traite les crimes comme on négocierait de la marchandise pour hypermarchés. Ce décalage dans la manière calme dont les personnages traitent leurs affaires horribles est sidérant. Les séquences violentes sont peu nombreuses, mais elles sont atroces, et définitives, donc glaçantes. Face à elles, la plupart du temps Le Parrain est un film sourd, Si on le regarde de près c'est un film aussi triste que les affaires en train de se dérouler, car c'est un film de conciliabules, de conseil d'administration, de banquiers occultes, en brun et noir. C'est un film de position assise, le dos calé dans un fauteuil pour montrer qu'on ne craint rien, qu'on est puissant et donc maître de soi et des autres. C'est un film de lenteur au rythme souple. Ce qui est un paradoxe pour son sujet qui reste quand même : la violence, celle de l'Amérique, et celle que l'on a typiquement en soi. C'est aussi un film de fenêtres, le stores perpétuellement baissés dans Le Parrain 1, ou les carreaux aux motifs comme des toiles d'araignées dans Le Parrain 2, montrent combien cette famille est prisonnière de ses actes. En cela Coppola offre au Parrain une portée métaphysique qui le rend inoubliable, en dehors d'être esthétiquement un très grand film.