Posté le 17.10.2019 à 12h00
L’animateur de La Grande Librairie sur France 5, transpose aujourd’hui au cinéma son admiration pour Jim Harrison, ami du Festival, disparu en 2016, dans un documentaire exceptionnel.
C’est à un proverbe sioux que le film emprunte son titre : “Seule la terre est éternelle”. Un fabuleux portrait que le Festival a découvert hier en avant-première. Jim Harrison (1937-2016) en est le principal protagoniste. Fabuleuse présence. Harrison pourtant ne “jouait” pas à être quelqu’un, il était. Un coeur gros comme ça, un poète, un vrai, comme on en fait peu, avec sa dégaine cabossée de pêcheur à la mouche, clope éternellement au bec. François Busnel a su le cerner comme personne avant lui, le suivant à travers les Etats-Unis depuis le Montana pour un road movie qui restera gravé dans les mémoires de ceux qui hier soir remplissaient la salle de l’Institut. En ayant incité Harrison à se raconter de sa voix eraillée juste avant de disparaître, le présentateur de La Grande Librairie nous ouvre aussi les portes de l’Amérique des laissés pour compte, comme à celles des grands espaces à perte de vue. Tous avaient leur place entre les pages des romans de Jim Harrison. Le film de Busnel est un hymne à la création littéraire, sur fond d’accords country.
Copyright Institut Lumière / Romane Reigneaud, Jean-Luc Mege
Votre amitié avec Jim Harrison remonte à 1999, vous n’étiez pas encore journaliste.
Mon admiration pour lui était immense, lire Dalva d’Harrison a “sauvé ma vie” ce n’est pas une formule. Je l’ai d’abord rencontré au Festival Etonnants voyageurs à une époque où celui-ci n’était pas encore une grande machinerie. Nous avons bu des bières dans la rue, c’était irréel. Un vrai coup de foudre amical. Puis on s’est revu à Paris en 2001. Plus tard, je faisais aussi son chauffeur ! A Lyon notamment.
A quel moment naît votre idée d’en faire le “héros” d’un film ?
Pendant dix ans je le lui ai fait la proposition. Rien à faire. Je me souviens d’une fois dans le Montana, il m’avait emmené pêcher, Adrien m’accompagnait, on avait une caméra, car comme des cons on a voulu le filmer. Il s’est raidi en me disant “tu connais la différence entre vivre et vivre? Sois à ce que je te propose de faire” ; et on a rangé la caméra. Et puis en 2015, je reçois un mail laconique de son assistante Joyce Harrington Bahle: “si tu en as toujours envie, viens, c’est maintenant”.
En quoi Harrison et son oeuvre représentent-ils une matière cinématographique ?
Selon moi il nous apprend à vivre. Sa vision du monde est précieuse. Il l’avait écrit : “seule la terre est éternelle”. Il y avait chez lui la conscience qu’il n’y avait rien de plus précieux que de faire corps avec la nature, a fortiori après avoir touché du doigt la mauvaise conscience de la société américaine à travers sa description des déclassés, les sans abri, les alcooliques, les putes…
Vous avez produit le film sur vos fonds propres. Pourquoi ne pas l’avoir destiné à la télévision ?
Parce que la télévision, même sur le service public, fonctionne selon des formats. J’ai proposé le projet à Arte qui a mis d’entrée nombre de conditions. Pareil lorsque je suis allé voir ma chaîne, France 5. Or je ne voulais pas entrer dans la case “52 minutes”. Jim Harrison était une personnalité hors format dont le destin se confond avec celui de l’Amérique. Notre film, dans sa version cinéma, fait 1h52 minutes. Je pense que le grand écran rendra mieux justice à l’homme et à son oeuvre. Avec Adrien Soland, qui réalise La Grande Librairie depuis douze ans, nous nous sommes dits “tentons quelque chose” ; on a commencé à produire les film sur fonds propres. Et puis ce faisant, des Américains sont entrés en coproduction : William Randolph Hearst 3, petit-fils de l’homme qui avait inspiré Citizen Kane. Un personnage. Mathématicien, philanthrope, fan d’Harrison. Et puis Mario Batali, qui est le Alain Ducasse new-yorkais, il y a peu encore propriétaire du restaurant Babbo. Il ne nous reste qu’à trouver un distributeur. A Lyon, peut-être ?
Vous êtes crédité comme co-réalisateur au générique.
Je n’ai jamais manifesté le souhait d’écrire de roman, ça ne m’intéresse pas, en revanche l’idée d’écrire un film m’a galvanisé, a fortiori au service de Jim Harrison. C’est Adrien Soland, encore lui, qui m’a dit “assez tourné autour du pot, tu t’y mets ! Tu écris le synopsis, tu feras le cadre, puis tu seras au montage et je serai juste derrière toi pour “backer””.
Jim Harrison est décédé avant la fin du tournage.
Nous avions rendez-vous dans le Michigan lorsqu’on l’a appris. Avec Adrien on s’est posé la question de savoir si on continuait. Nous avions onze de rushes. On touchait au bout. Alors en mai 2016 nous sommes repartis pour des plans complémentaires que nous avions prévu de tourner avec Jim dans le Michigan, sur quelques uns des lieux où il aimait s’évader.
La perspective de sa mort imminente ne semblait pas l’effrayer.
Jim Harrison y avait été maintes fois été confronté. Et c’est de cette manière aussi qu’il nous apprenait à vivre.
Comment s’est forgé votre amour du cinéma ?
Ah… Tout d’abord grâce à M’sieu Eddy et à sa Dernière séance (il se met à l’imiter d’une façon qui inspirerait le plus grand respect à Laurent Gerra). Après, ayant grandi en banlieue parisienne, entre Pontoise et Argenteuil, nos cinémas offraient des blockbusters ; et guère plus ! Top Gun c’était super, mais j’avais envie d’autre chose. Et cet “autre chose”, c’est dans le cinéma de Jerry Schatzberg et de Sydney Lumet que je l’ai trouvé : L’épouvantail, Panique à Needle Park et Un après-midi de chien. Tous mettent en scène l’Amérique des marges. J’ai eu le plaisir ici à Lyon de dire à Jerry Schatzberg combien son travail avait compté dans mon éducation.
Puis vous avez commencé à écumer tous les cinémas du Quartier Latin.
Oh oui. Le Champollion, L’Action Christine, etc. C’est là que s’est faite ma culture des classiques. Ensuite, j’ai eu ma période cinéma français années 70, Bertrand Tavernier, Philippe de Broca… Durant le Festival, j’espère trouver le temps d’aller découvrir un film ou deux encore. Avec le plaisir que procure le cinéma, on n’en a jamais fini !
Propros recueillis par Carlos Gomez