Gael García Bernal

« Je sens que le Che est avec moi, parfois »

 


Posté le 18.10.2019 à 15h00



En grande forme, Gael García Bernal a certifié son capital sympathie en Master Class devant le public de Comédie Odéon. Généreux, le Mexicain est revenu en anglais sur les films clés de sa déjà prolifique carrière, évoquant, aussi, sa colère vis-à-vis de la crise des « migrants » : « Le voyage, la migration, font partie de notre ADN ».


Éveil
Il y avait quelque chose dans l’air quand j’ai commencé à tourner, une sorte de réveil politique et social. Comme vous le savez c’est dans les moments de crises que le vrai cinéma apparaît. Il se libère, cela pousse à quelque chose qui ressemble à de la résistance. Sans exagérer ce pouvoir de changement du cinéma, il y a des films qui ont changé ma vie, qui m’ont fait perdre la peur de la mort : Mémoires du sous-développement de Tomás Gutiérrez et George Harrison : Living in the Material World de Martin Scorsese en font partie.

 

17 10 Institut 1 Gael Garcia Bernal Romane Derbelen JL Mege 7312Copyright Institut Lumière / Romane Reigneaud - Jean-Luc Mège Photography

Amores perros, 2000 / Y tu mamá también, 2001

Sur le tournage d’Amours chiennes régnait une atmosphère de silence et de respect, avec un sens très développé du professionnalisme typiquement mexicain. C’était un premier film pour la majorité des gens présents sur le plateau et tout était crucial, une sorte d’expérience pancréatique avec cette incroyable limite : nous n’avions droit qu’à une prise. J’aimerais que d’autres réalisateurs aient ce courage. Je n’ai jamais retrouvé une telle atmosphère sur un plateau.
 
Pour Y tu mamá también, en deuxième année d’école de théâtre, je reçois un message d’Alfonso Cuarón qui me dit qu’il a vu des extraits d’Amores Perros : « Enregistre moi une démo seulement si tu aimes le scénario », me dit-il. On ne m’avait jamais demandé mon opinion de cette façon. On a tout partagé ensemble, même le casting. Alfonso m’a fait confiance sur le choix de Diego Luna. Quand Diego est arrivé, on répétait cette scène d’engueulade dans un hôtel et tout le monde y a cru. Les voisins de chambre criaient « ne vous battez pas ! ». C’est plutôt bon signe non ? Cette fraternité, cette énergie que l’on partage avec Diego depuis des années se voyait à l’écran et encore aujourd’hui, il est l’une des personnes avec qui je travaille le mieux.


Carnets de voyage, 2004

L’une des meilleures expériences de ma vie, un voyage presque mystique. Il y a eu dix semaines de préparation pour s’imprégner des personnages, pour travailler l’accent argentin… Nous avons pu rencontrer la vraie famille d’Alberto Granado, du Che… Granado, qui était un trésor d’homme, était si fier que l’on fasse le film. Un jour dans une fête à La Havane, un peu éméché, il me conseille: « N’essaie pas d’imiter nos voix, sois toi-même, et ton voyage se révèlera beaucoup plus intéressant que le nôtre. ». Ce conseil a été complètement libérateur. Je sens qu’Ernesto (Che Guevara) est toujours un peu avec moi parfois, même si cela peut sembler un peu métaphysique de dire ça. Je me demande parfois ce qu’il ferait dans telle ou telle situation, comme un cousin. Ce film m’a permis de me sentir chez moi dans toute l’Amérique latine, d’agrandir ma maison, c’est tellement une belle période de ma vie. Walter Salles est l’une des personnes les plus intelligentes que j’ai été amené à rencontrer.

 

17-10_institut_1_Gael-Garcia-Bernal_Romane-Derbelen_JL_Mege-7448Copyright Institut Lumière / Romane Reigneaud - Jean-Luc Mège Photography

 

Les difficultés de tournage, La Mala Educación, 2004

Je venais de tourner Carnets de voyage et je me retrouve devant une façon de travailler complètement différente, plus classique. Après avoir été choisi sur un casting, j’ai été surpris de m’entendre dire que tout ce que je faisais c’était de la merde. Comme si l’idée était acceptée à l’époque que le succès pouvait seulement trouver sa source dans la douleur. Mais moi je crois à d’autres sortes de sacrifices, de ceux qui donnent la vie pour les autres, et je n’adhère pas à cette idée du « no pain no gain » : sans souffrance, pas de lauriers. On a trop vite admis que quand les choses sont simples et fluides, il n’y a rien de bien qui en sortira, même dans un couple, pourquoi ? De ma propre perspective car je respecte énormément Pedro, je suis convaincu que si je m’amuse, si je suis dedans, si je ressens de la joie, je peux faire de bonnes choses. Même une expérience comme La Mala Educación m’a construit.

La science des rêves, 2006

Tous les éléments avaient de l’importance dans La science des rêves, c’était un rêve pour tout acteur. Michel Gondry voulait que nous, acteurs ou techniciens, ayons, sur le tournage, une activité créative, comme des enfants qui font de la pâte à modeler. Telle une équipe de football, nous avons construit quelque chose ensemble, avec Charlotte (Gainsbourg) ou Alain (Chabat). D’ailleurs ma fille adore ce film, elle trouve les « effets spéciaux » géniaux !
 



Charlotte Pavard

Catégories : Lecture Zen