Ken Loach :

combattons ensemble

 


Posté le 17.10.2019 à 17h


 

Arrivé à Lyon en train deuxième classe selon ses souhaits, Ken Loach s’est dit ému, hier, de rencontrer le public du festival Lumière. Le cinéaste engagé ne lâche rien. Et sa Master Class a pris la forme d’un dialogue avec la députée de la France Insoumise Clémentine Autain.

 

ken-loach-loic-benoit-1
Copyright Institut Lumière / Loïc Benoit

 

Ken Loach :
Le monde d’aujourd’hui est dangereux. Les extrémistes vont en profiter car quand on peut voir le monde s’écrouler autour de soi, l’extrême droite en profite toujours. Il est plus important que jamais de combattre sur tous les plans et surtout, de comprendre ce qu’il se passe, d’où cela vient, car les fausses solutions arrivent quand on ne cherche pas à comprendre. Nous avons besoin de combattre cette insécurité, ensemble, peut-être aussi par le cinéma.
Les films doivent respecter la complexité de la vie, célébrer l’amitié, la joie, la tendresse, nos rancœurs, sinon ça ne marche pas. Ils doivent parler d’amour, de tout ce qui nous touche, de la vie quotidienne, pas seulement d’un combat. Il existe une connexion quasiment ombilicale entre notre situation sociale et notre vie privée.
 
Clémentine Autain : Sorry we missed you m’a bouleversée, ce film est comme une suite de Moi, Daniel Blake dans ce qu’il arrive à mettre à nu. Il met dans nos têtes la concrétisation de l’ubérisation et nous montre que le rêve d’indépendance se transforme en véritable cauchemar pour la famille. Les gamins, qui ne sont plus suivis décrochent, ça rejaillit sur le couple, quand on ne peut plus prendre soin de soi on arrive plus à prendre soin de personne. Ce film déclenche chez nous de la colère.

Ken Loach :  Avec le scénariste Paul Laverty, alors que nous étions dans une banque alimentaire en repérage pour Moi, Daniel Blake, on s’est aperçus qu’il n’y avait pas que des sans emploi dans ces endroits, mais des personnes qui n’ont pas suffisamment à manger, ou qui achètent à très bas prix pour leurs enfants et non pour eux. Nous avons découvert que les deux tiers des nouveaux boulots de ces dernières années, soit plus de 60% d’entre eux, étaient précaires. Cette situation prend sa source sous Margaret Thatcher quand elle commencé à mettre à mal les syndicats. Elle a donné le feu vert aux employeurs pour déclencher cette situation que l’on connaît aujourd’hui. Le travail, c’est comme un robinet maintenant, soit ils l’ouvrent soit ils le ferment.

 

ken-loach-loic-benoit-2
Copyright Institut Lumière / Loïc Benoit

 
Clémentine Autain : Ces politiques ultra-libérales lancées par Margaret Thatcher sont en réalité toujours des modèles qui accroissent le contrôle social. On n’en est pas encore tout à fait au même stade que l’Angleterre dans la décomposition mais je voudrais insister sur un point : l’atomisation des travailleurs. Avant, nous avions un lieu de socialisation au travail, une unité de lieu. Mais, on le voit dans Sorry we missed you, si toi tu ne veux pas le faire, ton collègue va le faire. Il faut trouver d’autres lieux de socialisation et d’autres formes d’espérances. Le défi est de se fédérer, de se parler et d’arriver à soulever les murs qui se sont dressés.
 
Ken Loach : Le Brexit est une diversion car les grands problèmes que nous avons étaient déjà là quand nous étions dans l’Union européenne, et ils seront toujours là quand nous n’y serons plus. Et ce sera encore pire si Boris Johnson reste premier Ministre. Nous avons une grève à la minute à Londres, les activistes cherchent tous à trouver comment combattre cette précarité. Mais nous n’entendons jamais parler de ces grèves. Les médias ne relayent pas l’information. Nous devons être meilleurs en communication car quand on est divisés, on est faibles. Il faut que les choses changent structurellement. La BBC est contrôlée par le gouvernement, la presse appartient à des conglomérats internationaux. Le leader du parti travailliste Jeremy Corbyn a été accusé de racisme alors que c’est un homme d’une intégrité absolue. Or, les médias ont relayé cela. Voilà jusqu’où va la campagne pour empêcher la victoire de la gauche. Si Corbyn gagne, chaque travailleur aura des droits dans ses contrats, aura droit à la sécurité sociale. L’argent public sera investi directement dans une énergie verte, tout sera régénéré.
Une équipe de foot peut représenter l’espoir et l’identité d’une communauté. Les gens se rencontrent, boivent un coup et c’est une grosse force d’unification, tout cela autour du football. Nous sommes maintenant propriétaires du club de Bath [où réside Ken Loach] et c’est un super sentiment. C’est une belle métaphore du socialisme.

 

Charlotte Pavard

 

Catégories : Lecture Zen