Conversation

(pas du tout) secrète

 


Posté le 19.10.2019 à 11h00


 

Apprendre sans relâche, progresser sans jamais se sentir un maître : Francis Ford Coppola a conquis le public par son humilité et l’acuité de son regard sur le cinéma.

Dès neuf heures du matin, une file déjà imposante de cinéphiles attendait l’ouverture des portes du Théâtre des Célestins. Mais ce n’est que peu après 15 heures que Francis Ford Coppola, en mode friday wear, était accueilli sur la scène par Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier pour une heure et demi de conversation, que le cinéaste a souhaité d’abord « interactive », afin que les nombreux étudiants présents trouvent leur compte. « C’est moi qui ai tenu au mot de conversation, a dit Coppola. Le terme master class a été utilisé une fois pour une pièce sur Maria Callas et depuis on l’applique à tout. Il n’y a pas de maître, sinon Martin Scorsese qui, lui, a appris et enseigne le cinéma. En tout cas, moi je n’en suis pas un. Cependant, a ajouté le cinéaste, j’espère que vous partirez d’ici en ayant trouvé cet échange utile. Soyez convaincus quand même que j’ai plus à apprendre de vous que vous avez à apprendre de moi ».

 

LA 1ÈRE SCÈNE D’UN FILM

Elle peut me venir d’un rêve, mais quand ce n’est pas le cas, j’essaye de trouver rapidement le ou les mots qui porteront la thématique que je veux illustrer. Ce peut être l’intimité pour Conversation secrète, la succession pour Le Parrain, la morale pour Apocalypse Now. Ensuite il peut se poser cent questions pour lesquelles j’aurais de manière intuitive autant de réponses. Et quand je sèche, je reviens au thème principal.

 

 Actuzen Conversation Coppola

Copyright Institut Lumière / Jean-Luc Mège

 

PATTON

J’avais écrit la scène d’ouverture de Patton après un long travail de documentation sur le personnage. Les récits le décrivaient comme un homme haut en couleurs, qui croyait en la réincarnation, qui arborait fièrement ses galons. J’ai donc imaginé une première scène pour que les spectateurs le voient dans toute sa superbe, qu’ils se croient sous ses ordres, galvanisés. Mais Burt Lancaster n’a pas aimé qu’on commence par la fin pour décrire le personnage et on m’a viré. Puis George C. Scott a repris le rôle et là quelqu’un du studio s’est souvenu qu’un petit jeune avait écrit un truc. On m’a rappelé. Moralité pour vous les étudiants : soyez convaincus que les choses pour lesquelles on pourra vous virer sont celles pour lesquelles on vous donnera des prix en avançant dans votre carrière !

 

EINSENSTEIN ET LES FILLES

Dans ma scolarité j’ai changé d’école tous les ans jusqu’à tomber dans un collège qui avait un super cinéma. Et pour la première fois, je suis resté quatre ans là, parce que c’est là qu’étaient les filles ! Un après-midi, j’ai découvert en projection Octobre de S. M. Eisenstein. Je n’en croyais pas mes yeux, car si le film était muet, par l’art du montage j’aurais pu le croire sonore. J’ai donc tourné le dos au théâtre et je me suis dit que j’irai apprendre le cinéma.

 

ROGER CORMAN

Avec ce producteur de séries B, j’ai commencé en bas de l'échelle en faisant à peu près tout ce qu’on peut faire sur un plateau. Ce fut très formateur. Et comme il était près de ses sous, j’ai compris que pour faire cinéma on avait besoin d’argent. Corman a 92 ans et il reste très actif. Je ne sais pas ce qu’il a dû penser en découvrant Apocalypse Now [plus dispendieux que les films produits par Corman] sinon que je devais être fou et il n’aurait pas eu tort car c’est un film dont l’ampleur m’a dépassé. Mais sachez que tout ce que vous voyez dans le film s’est vraiment passé. Pas de numérique !

 

 Actuzen Conversation Coppola2

Copyright Institut Lumière / Jean-Luc Mège

 

LE POIDS DU SON

A l'époque, le travail du son pouvait être accessoire sur pas mal de films. Dans notre bande de San Francisco, où il y avait George Lucas, nous avions une conscience très forte que l’émotion face à un film naît d’un son travaillé. Le Dolby a été créé à San Francisco. Ensuite, il y a eu le passage au numérique. La question s’est posée sur Star Wars. George Lucas se disait : puisqu’il y aura beaucoup de plans truqués, pourquoi ne pas tourner directement en numérique ?

 

LE PRODUCTEUR

Aussi mauvaise que soit la relation que vous avez avec un producteur, elle peut être fructueuse. Oui, le conflit, la contrainte peuvent être fertiles et parfois la meilleure idée est souvent la moins chère. Bob Evans, en me confiant la réalisation du Parrain, m’a lancé, c’est manifeste. Mais sachez que lorsqu’on m’a demandé de faire Le Parrain 2 ma condition était qu’il ne le produise pas ! Dès lors qu’on prend de la hauteur on veut tous se débarrasser du producteur. Cependant, un producteur peut aussi avoir un rôle moteur. Je sais que durant le tournage de La Grande Bouffe, Jean-Pierre Rassam avait poussé Marco Ferreri à aller toujours plus loin.

 

UN BON FILM

Un bon film repose sur l’écriture et sur les acteurs. Le reste, si c’est moins fort, on peut s’en accommoder, compenser. Quand j’entends que tel ou tel réalisateur a dirigé ses acteurs de manière magnifique, je n’y crois pas. C’est à l'acteur de jouer, alors que vous, votre boulot en tant que « director », c’est de faire en sorte qu'il soit à l’aise pour s’exprimer.

 

LES SÉRIES

Il reste des thèmes que je veux encore aborder et je suis sûr que j’apprendrai encore. Mais je n’ai pas l’impression que les séries m'offriraient ça, car ce qui les alimente c’est les informations d’un algorithme qui font d’une série d’abord un enjeu financier. Cela devient un produit industriel. Alors à ceux qui ont des aspirations artistiques, je dirais : méfiez-vous de l’appât du gain !

 

Propos recueillis par Carlos Gomez

Catégories : Lecture Zen