Marina Vlady

« je ne suis pas la Princesse de Clèves ! »

 


Posté le 16.10.2019 à 11h30


 

Elle a choisi les films qu'elle présente au festival Lumière. Ils témoignent d'une carrière riche et audacieuse.


Au téléphone, on reconnaît sa voix entre toutes : claire, un peu chantante, un sourire au bout du (sans) fil. Marina Vlady est une aventurière : elle l’a été dans sa carrière au cinéma et au théâtre, elle l’a été aussi dans sa vie personnelle, qui l’a trimbalée d’Afrique en URSS, bien avant la chute du régime soviétique. Elle est la fille cadette d’une famille de Russes émigrés avant la Révolution, les Poliakoff. Deux de ses sœurs, Odile Versois et Hélène Vallier, étaient également comédiennes, ce qui leur a permis de jouer ensemble, sur scène, Les Trois sœurs, de Tchekhov. La carrière de Marina Vlady est à la fois prodigieuse, riche de près de cent films, et mystérieuse : il y a les incontournables, Godard, Welles, et cette Princesse de Clèves version Jean Delannoy qui exaltait sa beauté. Mais aussi des œuvres plus rares, des « films orphelins », qui sont parfois les sommets de parcours de cinéastes moins célébrés. « C’est toute l’histoire de ma carrière, j’ai toujours privilégié les textes et les rôles, sauf quand j’avais vraiment besoin d’argent ! » En témoignent les films rares qu’elle a choisis pour cet hommage lyonnais. « Je suis heureuse de l’invitation du festival Lumière. Généralement, on me dit : tiens, tel film a été restauré, peux-tu venir le présenter ? A Lyon, j’ai choisi les films que je voulais montrer. » Elle nous explique ses choix.


Elles-deux-Ok_ketten_01_c_Szovari_GyulaMarina Vlady dans Elles deux de Marta Meszaros



Avant le déluge
, d’André Cayatte

C’est mon premier grand rôle français après dix films en Italie. J’ai débuté à 10 ans en Italie. J’y ai vécu jusqu’à mes 17 ans et mon mariage avec Robert Hossein. J’avais avec moi ma mère et une de mes sœurs. J’ai eu des premiers rôles, comme Jours d’amour, avec Mastroianni, un très beau film. J’étais une grande adolescente, à 13 ans je faisais 1m70, physiquement j’étais déjà une jeune femme. L’un de mes premiers rôles en Italie était celui d’une fille mère, alors que je n’avais aucune notion de ce qu’était le sexe ou la maternité !
Mon souvenir de Cayatte ? Un aigle. Il avait une gueule d’aigle, des yeux très perçants. Il était très autoritaire, mais il nous aimait beaucoup, on était ses « petits ». Un premier grand rôle en français, j’ai eu beaucoup de mal. En Italie, il n’y avait pas de son direct, je pouvais bafouiller mes répliques, là il fallait qu’on entende ma voix. L’ingénieur du son avait une baguette et me tapait sur les fesses pour que je parle plus fort !

Le Lit conjugal, de Marco Ferreri

Un film magnifique, d’une drôlerie, d’un anticléricalisme délirant ! Marco Ferreri était un homme charmant, un copain avec lequel je me suis tout de suite merveilleusement entendue. Je me souviens de cette fois où, de façon impromptue, après qu’on avait tourné sur la plage d’Ostie, il s’était déshabillé et avait plongé dans la mer. Je l’avais suivi ! Il m’avait raconté qu’il avait fait partie des plongeurs d’attaque de l’Italie fasciste. Lui, l’anarchiste !
Le film m’a valu le Prix d’Interprétation au Festival de Cannes 1963. Je ne m’y attendais pas du tout. On m’a prévenue la veille, je suis tombée de ma chaise, j‘ai vite enfilé une petite robe noire !

LIT-CONJUGAL-artMarina Vlady dans Le Lit conjugal de Marco Ferreri


Un amour de Tchekhov
, de Sergueï Youtkevitch

J’y tiens beaucoup. Un film sur Tchekhov, mon auteur préféré ! En russe ! J’étais une star en Russie depuis le succès de La Sorcière, en 1956, un beau film tiré d’un récit de Kouprine. Le tournage a duré près d’un an et demi, parce qu’on respectait le rythme des saisons. J’avais une suite dans un hôtel et j’y ai accueilli tout ce que Moscou comptait comme créateurs et comme personnages intéressants. Et c’est à cette période que j’ai rencontré Vladimir Vissotski [acteur, poète et chanteur, toujours au bord de la dissidence, une star dans l’URSS des années 70]. Nous nous sommes mariés, j’ai vécu en URSS pendant douze ans.

Elles deux, de Marta Meszaros

Un de mes plus beaux rôles, très concret. Et puis Marta Meszaros a écrit au débotté une petite scène pour que Vladi Vissotski vienne me rejoindre en Hongrie et jouer avec moi. Une scène superbe, il neigeait, sur la route de grands réverbères se balançaient. C’est la seule fois où l’on a joué ensemble. Les autorités soviétiques avaient toujours fait interdire nos projets communs. Il reste ça, au moins.


Le Temps de vivre, de Bernard Paul
Que la fête commence, de Bertrand Tavernier

Bertrand Tavernier était l’attaché de presse de ce film militant de Bernard Paul, sur la classe ouvrière, que j’aime beaucoup. Nous l’avons fini pendant les grandes grèves de mai 68, on nous avait permis de continuer à cause du sujet. On l’a présenté dans toute la France, avec des débats. On était une bande formidable : Bernard Paul, Françoise Arnoul qui était sa compagne, Michel Cournot. Et Bertrand. Je crois que c’est le souvenir de nos gueuletons, ces soirées où l’on rigolait et chantait, qui lui a donné l’idée de me faire jouer la favorite du Régent dans Que la fête commence. Il a senti quelle bonne femme j’étais réellement : au fond, je ne suis pas la Princesse de Clèves, je suis plutôt la Marquise de Parabère !

QUE-LA-FETE-COMMENCE-artPhilippe Noiret et Marina Vlady dans Que la fête commence de Bertrand Tavernier

 

 

 

Propos recueillis par Aurélien Ferenczi

Catégories : Lecture Zen